Comme un roman * Daniel Pennac
Le verbe lire ne supporte pas l'impératif. Aversion qu'il partage avec quelques autres: le verbe "aimer"...le verbe "rêver"...
On peut toujours essayer, bien sûr. Allez-y: "Aime-moi!" "Rêve!" "Lis!" "Lis! Mais lis donc, bon sang, je t'ordonne de lire!"
- Monte dans ta chambre et lis!
Résultat?
Néant.
Comme je le disais sur Goodreads, et pour ceux qui ont suivi ma lecture plutôt lente de cet ouvrage, on pourrait penser que je n'ai pas aimé.
Mais c'est bien le contraire en fait.
Ce qui a pêché je pense, c'est le fait que je n'ai pas du tout l'habitude de lire ce genre d'essais, analyse (et que quand j'ai le choix entre une lecture de midinette et Comme un roman, je me révèle dans toute ma faiblesse et vais trouver bonheur dans les bras de St Clair. Bref.)
Pennac livre ici une analyse pertinente de la lecture et surtout de l'apprentissage, la pédagogie que nous avons créée tout autour de ce thème en perdant de vue l'essentiel: le plaisir simple de la lecture, contée à l'enfance, puis plus personnelle.
- Encore!
"Encore, encore..." veut dire, en gros: "Faut-il que nous nous aimions, toi et moi, pour nous satisfaire de cette seule histoire, indéfiniment répétée!" Relire, ce n'est pas se répéter, c'est donner une preuve toujours nouvelle d'un amour infatigable.
Il démystifie les règles que l'on s'impose bêtement pour redonner à la lecture sa vocation première de plaisir.
Les droits imprescriptibles du lecteur :
1. Le droit de ne pas lire.
2. Le droit de sauter des pages.
3. Le droit de ne pas finir un livre.
4. Le droit de relire.
5. Le droit de lire n'importe quoi.
6. Le droit au bovarysme (maladie textuellement transmissible).
7. Le droit de lire n'importe où.
8. Le droit de grappiller.
9. Le droit de lire à haute voix.
10. Le droit de nous taire.
Ce billet recèle d'extraits car Pennac a vraiment le don des petites phrases. Et j'aime particulièrement quand il dédramatise les fausses excuses avec beaucoup d'humour.
La faute à la télé?
Le vingtième siècle trop "visuel"? Le dix-neuvième trop "descriptif"? Et pourquoi pas le dix-huitième trop "rationnel", le dix-septième trop classique, le seizième trop "renaissance", Pouchine trop russe et Sophocle trop mort? Comme si les relations entre l'homme et le livre avaient besoin de siècles pour s'espacer.
Quelques années suffisent.
Quelques semaines.
Le temps d'un malentendu.
Et derrière son texte, ce qui ressort le plus et qui nous frappe en plein coeur, nous, petits lecteurs passionés, c'est le véritable amour des livres qui vit derrière ses mots. Les sentiments forts que lui ont procuré la lecture de grands classiques (j'ai presque envie de lire La Guerre et la paix.....c'est dire!! ^^)
Le temps de lire est toujours du temps volé. (Tout comme le temps d'écrire, d'ailleurs, ou le temps d'aimer.)
Volé à quoi?
Disons, au devoir de vivre.
(...) Le temps de lire, comme le temps d'aimer, dilate le temps de vivre.
Si on devait envisager l'amour du point de vue de notre emploi du temps, qui s'y risquerait? Qui a le temps d'être amoureux? A-t-on jamais vu, pourtant, un amoureux ne pas prendre le temps d'aimer?
Je n'ai jamais eu le temps de lire, mais rien, jamais, n'a pu m'empêcher de finir un roman que j'aimais.
La lecture ne relève pas de l'organisation du temps social, elle est, comme l'amour, une manière d'être.
La question n'est pas de savoir si j'ai le temps de lire ou pas (temps que personne, d'ailleurs, ne me donnera), mais si je m'offre ou non le bonheur d'être lecteur.
Comme un roman de Daniel Pennac
Editions Gallimard - 1992
198 pages